Damn the torpedoes !

Alban Lannéhoa

Véritable révolution technologique dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’introduction de la torpille va avoir des conséquences aussi importantes et autrement plus durables que celle de l’obus explosif et de la cuirasse. De la « torpille dormante » ou « vigilante », que l’on appelle plus communément « mine » de nos jours, à la « torpille portée » puis à la « torpille automobile » que nous connaissons aujourd’hui, le développement de cet armement redoutable est intimement lié à celui des vecteurs destinés à le mettre en œuvre : le torpilleur et son pendant submersible, deux concepts très proches qui vont totalement rebattre les cartes de la tactique navale. Nous vous proposons aujourd’hui la première étape de cette histoire, des origines aux innovations de la guerre de Sécession.

Le concept conduisant à la torpille est particulièrement ancien. On fait l’usage dès l’Antiquité de « brûlots », navires ou barges remplis de matière inflammables, auxquels on met le feu avant de les faire dériver ou de les diriger vers la flotte adverse. Ce sont le plus souvent des embarcations très légères et peu coûteuses, mais aussi parfois des navires de plus fort tonnage que l’on sacrifie de la sorte. Cette tactique est employée à de nombreuses reprises à l’époque de la marine à voiles, souvent dans un but défensif comme devant Québec en 1759, mais également dans le but d’atteindre un adversaire retranché dans une rade protégée et inaccessible à des vaisseaux de ligne. Les Britanniques font notamment usage de cette tactique avec succès au cours de la bataille de l’île d’Aix le 11 avril 1809. Le succès de l’entreprise dépend de nombreuses conditions, en particulier l’effet de surprise, une bonne synchronisation de la mise à feu, et la capacité à diriger les brûlots efficacement vers leur cible, le plus souvent laissés à la merci des courants.

Les brûlots français lancés sur les navires britanniques le 28 juin 1759 devant Québec n’auront pas le succès escompté. La tactique est encore rudimentaire, on met le feu à des embarcations que le courant fait dériver vers leurs cibles. Tableau de Samuel Scott (1702-1772) Royal Maritime Museum Greenwich.

On travaille déjà à cette époque à la conception de navire plus complexes destinés à porter des charges explosives plus efficaces qu’un simple brûlot. En 1624, le néerlandais Cornelis Drebbel (1572-1633) conçoit à Londres un engin submersible, sorte de cloche de plongée pourvue de six paires de rames. Dans l’idée de son concepteur, ce navire doit être armé sur l’avant d’une hampe portant une charge explosive devant détoner au contact d’un navire. On a déjà ici là le concept de la torpille portée, sans doute trop ambitieux pour l’époque, et qui n’est finalement pas développé.

Il faut attendre la guerre d’indépendance américaine pour voir de premières avancées concrètes. Le britannique John Cross suggère en 1775 de produire des charges explosives sous-marines destinées à bloquer les ports adverses : « mon invention se recommande par les particularités suivantes : placer de la poudre de guerre sous l’eau ; si un navire vient à toucher cette poudre, il sautera immédiatement ». Mais l’amirauté britannique n’a aucun intérêt à contribuer à développer un armement nouveau qui viendrait remettre en cause la supériorité des traditionnelles escadres de vaisseaux de ligne.

C’est donc logiquement du camp adverse que vont venir les innovations les plus intéressantes. David Bushnell (1742-1826) teste des charges explosives associées à un mouvement d’horlogerie, que l’on laisserait à la dérive, ou que l’on viendrait appliquer sur la carène d’un navire par le moyen d’une autre invention : une cloche de plongée baptisée Turtle, premier véhicule submersible propulsé par une hélice. Une attaque est tentée sur le vaisseau de 74 canons HMS Eagle ancré en baie de New York. L’engin atteint le navire mais ne parvient pas à y fixer sa charge, qu’il doit larguer avant de fuir lorsqu’il est repéré. Cette première attaque sous-marine est un échec mais la découverte de cette nouvelle menace a un grand retentissement.

La cloche de plongée Turtle de David Bushnell. Dessin du Lieutenant Commander F. M. Barber, 1875.

On connaît ensuite une avancée décisive au tournant du XVIIIe au XIXe siècle avec les travaux de l’américain Robert Fulton (1765-1815), qui propose d’abord au gouvernement français sous le Directoire puis le Consulat un engin submersible baptisé Nautilus, qui doit permettre de briser le blocus naval britannique sur les côtes françaises. La propulsion est assurée en surface par une petite voile, et sous l’eau par la force humaine, par la mise en œuvre de manivelles entraînant une hélice. Des essais sont conduits au large du Havre en 1800 puis l’année suivante devant Brest, mais le Nautilus ne fait pas l’objet d’un développement plus poussé.

Le Nautilus de Fulton.

Le projet aurait en effet rencontré la vive opposition du ministre de la Marine Denis Decrès. Comme au Royaume-Uni 25 ans plus tôt, on comprend mal l’intérêt de développer une arme susceptible de changer les équilibres du combat naval. Bien mal en prend à la marine française qui voit Fulton poursuivre ses expériences en Angleterre puis aux Etats-Unis à partir de 1806.

Fulton aurait été le premier à baptiser les armements sous-marins « torpedoes« , torpilles en français, du nom d’une famille de raies capables de produire un choc électrique assommant leurs proies. Il présente en 1807 les résultats de ses expériences au président des Etats-Unis Thomas Jefferson, au secrétaire d’Etat James Madison et au secrétaire à la Marine Robert Smith, puis publie en 1810 Torpedo War and Submarine explosions. La marine américaine n’étant pas en mesure de lutter à armes égales contre la Royal Navy, Fulton recommande de doter les principaux ports américains (Boston, New York, Charleston, la Nouvelle-Orléans et les baies de Chesapeake et du Deleware) de plusieurs dizaines de canots porte torpilles pour la défense des côtes. Les raids de torpilleurs devraient selon lui être menés de nuit, par groupes d’au moins une douzaine d’assaillants pour saturer les défenses du navire ciblé. Des champs de mines dormantes compléteraient le dispositif en interdisant des points de passage à l’ennemi.

Toutefois, même aux Etats-Unis, nation jeune et entreprenante, Fulton rencontre des oppositions au Congrès, notamment de la part du Commodore John Rodgers (pourtant l’un de ceux qu’Alfred Thayer Mahan citera comme ayant la meilleure compréhension de la stratégie navale), et ne se voit pas accorder de crédits pour mettre en œuvre son ambitieux projet. Il obtient a minima la possibilité de conduire un essai d’attaque à la torpille portée sur le brick USS Argus ancré dans l’East River. Mais l’exercice est saboté par la Navy : le navire est protégé par des filets qui empêchent l’assaillant d’entrer en contact avec sa cible. L’un des observateurs les plus objectifs notera malgré l’échec de l’expérience que ce dispositif défensif immobilise le navire, et qu’à ce titre au moins la menace représentée par les canots torpilleurs est digne d’intérêt.

Canot porte-torpille mise en œuvre sur les recommandations de Fulton. Croquis de John Rodgers.

Fulton ne se décourage pas et présente une maquette de navire lourdement protégé et pourvu d’un long espar de 96 pieds (30 mètres) à même de passer au-dessus des filets de protection improvisés. En 1811, une commission d’examen admet finalement que la torpille peut causer de graves dommages à un navire, mais que les travaux de Fulton ne sont pas encore à un stade suffisamment avancé pour se fier à ces armements.

La guerre de 1812 opposant les Etats-Unis à l’Angleterre offre l’occasion de concrétiser ces recherches. En 1813, le maître timonier Elijah Mix tente une attaque sur le vaisseau britannique de 74 canons HMS Victorious à l’aide d’une torpille portée sur un canot, suivant les expériences de Fulton. La tentative aurait été un échec, la torpille se détachant de son support. Au mois de juillet, Mix tente de nouvelles attaques, également infructueuses, sur le vaisseau HMS Plantagenet. Le 24, il laisse une torpille dériver vers sa cible : la détonation se produit trop loin du navire mais l’effet est impressionnant : « C’était comme la secousse d’un tremblement de terre accompagné d’un son plus fort et plus terrible qu’un coup de tonnerre. Une pyramide d’eau de 50 pieds de largeur s’est élevée de 30 ou 40 pieds, son apparence était d’un rouge vif teinté sur les côtés d’un beau pourpre, et elle s’est dispersée en retombant à torrents sur le pont du navire ». Une seconde attaque est également sans succès : Mix abandonne sa torpille, récupérée par les Britanniques qui en feront une description complète dans la Naval Chronicle.  La menace représentée par cette arme inquiète suffisamment les Britanniques pour justifier de violentes rétorsions. Les navires du Commodore Thomas Hardy bombardent Stonington dans le Connecticut le 11 août 1813, et menacent de faire subir le même sort aux villes côtières de Long Island si elles abritaient des canots torpilleurs.

Les Britanniques se penchent plus attentivement sur les torpilles. En 1839 le colonel Pasley emploie l’électricité pour faire détoner à distance des charges explosives et faire couler le HMS Royal Georges en rade de Spithead. En 1853, James Nasmyth présente un concept intéressant de navire bélier porte-torpille semi-submersible, variante intéressante du combat par le choc, remplaçant l’éperon par une torpille placée sur l’avant du navire. Il semble toutefois peu réaliste dans cette configuration de protéger l’équipage de la détonation de la charge, dont on maîtrise encore assez mal les effets.

Bélier porte-torpille de Nasmyth.

La guerre de Crimée, au cours de laquelle on remarque la propulsion à vapeur du vaisseau Napoléon et l’emploi des batteries flottantes cuirassées, fait la part belle à l’obus explosif et ne donne pas lieu à un emploi offensif de la torpille. Tout au plus les Russes font-ils usage de torpilles dormantes dites Jacobi, du nom de leur inventeur, explosant au contact. Ces charges légères de 3,5kg à 15kg de poudre sont relativement rudimentaires : disposées en ligne en protection des côtes de la mer Baltique, elles sont insuffisantes pour causer des dommages significatifs aux navires adverses et s’avérèrent très dangereuses à manipuler. A l’issue du conflit, on en relève de nombreuses sur lesquelles le verrou de sureté n’avait pas été retiré, peut-être volontairement par les matelots chargés de les mettre à l’eau, craignant une explosion prématurée.

On introduit en 1857 un nouvel explosif pour armer les torpilles, remplaçant la poudre noire : la nitrocellulose, couramment appelé fulmi-coton ou coton-poudre, qui permettra à la fin du siècle de développer une poudre sans fumée six fois plus puissante que la poudre noire à poids égal. Cet explosif est toutefois particulièrement instable et sera la cause de nombreuses catastrophes navales. Le colonel autrichien Ebner en fait usage dès la campagne d’Italie en 1859 pour la défense de Venise face à l’escadre française, qui n’aura heureusement pas à en souffrir.

On fait également un usage extensif de ces armements au cours de la guerre de Sécession aux Etats-Unis. La marine des Etats confédérés est embryonnaire et totalement incapable d’assurer efficacement la défense des milliers de kilomètres de côtes et de voies fluviales navigables. Elle va dont logiquement reprendre les travaux de Bushnell et de Fulton, qui s’inscrivaient dans un contexte stratégique comparable. Le secrétaire à la Marine Stephen Mallory charge le Commander Matthew Fontaine Maury d’organiser la défense des ports et axes fluviaux, notamment la James River conduisant à Richmond, la capitale confédérée. On fait généralement usage de torpilles rudimentaires mais très efficaces : de simples barils enduits de pois à l’intérieur et à l’extérieur pour assurer leur étanchéité, recevant jusqu’à 50kg de poudre noire. Des cones métalliques fixés de chaque côté permettent d’orienter le dispositif dans le courant afin d’éviter qu’il ne se détache de sa ligne. Des détonateurs à pression ou chimiques sont placés sur le dessus et sur les côtés du baril pour assurer la mise à feu de la charge au contact d’un navire. Maintenu entre deux eaux, ce dispositif est pratiquement invisible depuis la surface.

Torpille dormante confédérée, en usage pour la défense des approches côtières ou des axes fluviaux.

Ce système défensif va s’avérer très efficace, contraignant la marine de l’Union à un blocus d’Hampton Roads, à l’embouchure de la James River. Les navires qui s’aventurent en amont prennent un risque considérable, comme l’illustre l’échec de l’expédition du Commodore Barney en août 1863. On pensait cet ancien ferry-boat protégé par son faible tirant d’eau, mais une torpille dormante explose sous la proue à son passage, soulevant le navire et endommageant les machines. Vingt hommes d’équipage passent par-dessus bord et deux sont noyés.

Explosion d’une torpille au passage du Commodore Barney le 4 août 1863.
Gravure F. C. H. Bonwill, Frank Leslie’s illustrated newspaper.

Le système mis en place sur la James River est copié devant les ports confédérés, notamment à Charleston, où avait débuté le conflit en 1861. Au mois d’avril 1863, Samuel Francis Du Pont justifiera l’échec de l’attaque de Charleston par la marine de l’Union en évoquant la « peur des fantômes » que représentent les torpilles.

Ce succès encourage le développement de systèmes plus complexes pour tenter de rompre le blocus imposé par l’Union. Le chimiste Julien Ravenel (1819-1882) s’improvise ingénieur naval et dessine à Charleston un torpilleur submersible dont la forme allongée rappelle le premier des « cigar ships » de Ross Winans, conçu quatre ans plus tôt. Baptisé CSS David, le navire construit par le chantier Stoney mesure 15 mètres de long. Il est propulsé par une machine à vapeur et porte une torpille placée au bout d’un espar dépassant à la proue. L’engin est pourvu de ballasts qui permettent une immersion quasi complète, seule la cheminée et un poste d’observation dépassant de l’eau. L’espace est toutefois très réduit dans le navire : seuls quatre hommes peuvent prendre place à bord du David, qui est généralement piloté depuis l’extérieur jusqu’à la phase d’approche de sa cible.

Plan du CSS David. Naval History and Heritage Command.

La torpille portée par le David n’est guère plus élaborée que les barils-torpilles de la défense passive. Un réceptacle cylindrique placée au bout d’une hampe de près de cinq mètres reçoit une charge 60kg de poudre noire, qui doit être amorcée par l’un des sept contacteurs placés à la pointe. Le câble visible sur le plan ci-dessus ne sert pas à déclencher l’explosif à distance, l’équipage étant le plus probablement à l’abri dans le navire à l’approche de sa cible, mais à abaisser l’espar portant la torpille qui est relevé avant l’attaque pour éviter tout déclenchement intempestif sur un débris flottant.

Torpille portée par le CSS David. Naval History and Heritage Command, NH59421.

Le David est prêt à l’automne 1863. Le 5 octobre, le Lieutenant William T. Glassel prend place à bord avec un mécanicien, un timonier et un matelot. La cible du torpilleur est le cuirassé USS New Ironsides qui participe au blocus de Charleston. A la différence du célèbre Monitor, ce dernier est un navire cuirassé de haut bord qui rappelle davantage la Gloire de la marine française. Il est baptisé en hommage à la frégate USS Constitution, qui était surnommée « Old Ironsides » depuis son combat avec la HMS Guerrière pendant la guerre de 1812. C’est une cible de choix pour le torpilleur confédéré qui s’élance de nuit. Protégé par l’obscurité et sa faible hauteur sur l’eau, il s’approche à moins de 50 mètres du New Ironsides avant d’être repéré.

Attaque de l’USS New Ironsides par le CSS David le 5 octobre 1863. Gravure Harper’s Weekly.

Glassell tire un coup de fusil puis le David fond sur sa proie. La torpille explose sur l’arrière-tribord du cuirassé, soulevant une colonne d’eau qui retombe sur le torpilleur, passant dans la cheminée mal protégée et éteignant sa chaudière. Sous le feu de l’équipage du New Ironsides, les marins du David pensent leur navire perdu et l’abandonnent. Seul le timonier Walker Cannon, qui ne sait pas nager, reste à bord. Il est rejoint par le mécanicien J. H. Tomb, et les deux hommes parviennent à relancer les machines et à rejoindre Charleston, tandis que le Lieutenant Glassell et le matelot James Sullivan sont capturés.

Le New Ironsides n’est qu’endommagé, et son équipage ne déplore qu’une victime, l’Enseigne Howard. L’attaque est malgré tout une démonstration éclatante du potentiel du torpilleur. De retour à quai à Charleston, le David est réparé et tentera deux nouvelles attaques : sur l’USS Memphis le 6 mars 1864, et sur l’USS Wabash le 18 avril. Ces deux attaques n’auront pas le succès escompté.

CSS David à quai à Charleston le 26 octobre 1863.
Tableau Conrad Wise Chapman (1842-1910), American Civil War Museum.

Le David n’est pas le seul bâtiment torpilleur mis en œuvre par les confédérés. L’ingénieur Horace Lawson Hunley (1823-1863) travaille depuis deux ans sur un projet de sous-marin. Son premier navire baptisé Pioneer a été testé avec succès en février 1862 sur le Mississippi, mais l’avancée de l’armée fédérale vers la Nouvelle-Orléans a contraint ses concepteurs à le saborder deux mois plus tard. Il s’agissait extérieurement d’un navire relativement proche du David, mais cette-fois propulsé par une hélice à manivelle actionnée manuellement par l’équipage. Cette caractéristique rendait le submersible plus lent mais lui permettait d’être pratiquement totalement immergé, et il n’était plus sujet aux pannes mécaniques.

Le torpilleur submersible Pioneer d’Horace Lawson Hunley. Le navire est prometteur mais doit être sabordé en raison de l’avancée des troupes de l’Union vers la Nouvelle-Orléans. Dessin par David M. Stauffer, 1865.

Hunley poursuit ses travaux à Mobile en Alabama. Il conçoit un nouveau submersible baptisé Pioneer II, également connu sous le nom d’American Diver. Long de 11 mètres, l’engin est très proche du Pioneer mais présente un avant et une poupe formant une arrête et non plus une pointe. Les tentatives infructueuses pour le doter d’un moteur électrique puis d’une machine à vapeur retardent le développement du navire, qui est toutefois prêt pour des essais au mois de janvier 1863. Remorqué jusqu’en baie de Mobile pour tenter une attaque, son équipage rencontre de très mauvaises conditions de mer et l’abandonne.

Ce nouvel échec ne désespère pas son concepteur, qui conçoit un troisième bâtiment très proche du Pioneer II. Long de 12 mètres, il est toujours propulsé par une manivelle actionnée à la force des bras et entraînant une hélice. Comme le David, le navire est pourvu de ballasts pour lui permettre d’évoluer très bas sur l’eau, ne laissant émerger qu’une tourelle d’observation pour son guidage. Testé à Mobile, il est conduit par voie ferrée à Charleston au mois d’aout 1863. Deux catastrophes successives vont l’empêcher de s’illustrer avant le David. Le 29 août 1863, le lieutenant John A. Payne actionne accidentellement le levier initiant la plongée alors que les écoutilles sont encore ouvertes. Cinq hommes de l’équipage sont noyés. Le 15 octobre 1863, Horace Lawson Hunley fait partie des huit membres d’équipage qui sont tués au cours d’un nouvel essai de plongée.

Le torpilleur submersible Hunley, que l’on nommera du nom de son concepteur, tué à son bord le 15 octobre 1863. Popular Science, volume 58.
Le CSS Hunley à Charleston le 6 décembre 1863.
Tableau Conrad Wise Chapman (1842-1910), American Civil War Museum.

Cette mauvaise fortune n’empêche pas la poursuite des travaux sur le submersible, que l’on appelle désormais couramment Hunley, du nom de son malchanceux concepteur. Ce dernier ne connaîtra pas l’engagement opérationnel de son invention, le 17 février 1864. L’équipage du Hunley est commandé par le Lieutenant George Erasmus Dixon, qui a d’abord été sergent dans le 21ème Régiment d’infanterie de l’Alabama, grièvement blessé au cours de la bataille de Shiloh au mois d’avril 1862. Dixon s’est intéressé au développement du submersible au cours de sa convalescence à Mobile.  

La cible du Hunley est le sloop à vapeur USS Housatonic, un navire lancé en novembre 1861 à Boston, qui participe au blocus de Charleston. Peu avant 21h, le submersible profite de l’obscurité pour s’approcher du navire et n’est repéré que dans les derniers instants. Seuls quelques tirs d’armes légères seront reportés, avant que la torpille du Hunley ne déchire le flanc du Housatonic qui est rapidement abandonné par son équipage et sombre en quelques minutes. L’USS Housatonic devient le premier bâtiment coulé par un navire submersible. Si l’attaque est un succès, la marine confédérée n’aura plus de nouvelle du torpilleur, qui a disparu avec sa victime. Le relèvement de l’épave le 8 août 2000 et son analyse permirent de démontrer que l’équipage a probablement péri dès la détonation de la torpille, insuffisamment protégé de ses effets à courte distance.

Destruction de l’USS Housatonic par le CSS Hunley le 17 février 1864.
Dessin William Waud (1832-1878), Library of Congress.

Au mois d’avril 1864, une nouvelle attaque est tentée par un moyen plus conventionnel : on équipe un canot à vapeur de 9 mètres, le CSS Squib, d’un espar portant une torpille. Le navire est bien plus simple que le David ou le Hunley, il n’est pas submersible et bien plus vulnérable aux tirs d’armes légères. Il est toutefois bien plus facile à mettre en œuvre et à produire en petite série : trois autres seront armés par la marine confédérée. Armé à Richmond, le Squib est remorqué sur la James River pour mener son attaque sur les navires de l’Union faisant le blocus d’Hampton Roads. Dans la nuit du 8 au 9 avril, son équipage le dirige vers la frégate mixte USS Minnesota. Ne pouvant dissimuler son approche comme les submersibles utilisés à Charleston, le lieutenant Davidson fait le choix d’une autre tactique, évoluant sous pavillon blanc et prétendant parlementer. Cette ruse lui permet d’atteindre le Minnesota et de placer sa charge. Toutefois, la torpille explose trop haut et endommage seulement le navire. Le Squib parvient difficilement à s’éloigner, cette fois sous un feu nourri d’armes légères. Les trois autres navires du même type, les Scorpion, Wasp et Hornet, seront employés sans plus de succès au cours de la bataille de Trent’s Reach en janvier 1865.

Torpilleur du type Squib. Naval History and Heritage Command, NH 108833.

Les torpilleurs confédérés obtiennent ainsi des résultats contrastés et sans grand effet sur le blocus imposé par l’Union, à la différence des mines dormantes dont la menace est toujours très présente. Le 6 mai 1864, la canonnière à roues à aubes USS Commodore Jones saute sur une mine au cours d’une patrouille sur la James River. L’équipage est moins chanceux que celui du Commodore Barney l’année précédente : on ne sauvera que 30 des 150 hommes présents à bord.

Explosion de l’USS Commodore Jones sur une charge dormante le 6 mai 1864

Le 5 août 1864, l’escadre du contre-amiral David Farragut force l’entrée de la baie de Mobile dans l’Alabama. Les forces rassemblées pour cet assaut comprennent quatre cuirassés type Monitor, cinq frégates, plusieurs corvettes et canonnières. Seuls quatre navires confédérés s’opposent à cet impressionnant déploiement, dont le cuirassé à casemate CSS Tennessee, mais plusieurs lignes de torpilles dormantes protègent également les approches du fort Morgan, au Sud de la baie de Mobile. Le cuirassé USS Tecumseh, placé à la tête de la ligne des Monitor, la plus exposée, heurte une torpille à 7h30. Le navire chavire et sombre en quelques minutes.

Les derniers instants de l’USS Tecumseh.

Mesurant le risque d’un ralentissement de la progression de son escadre sous le feu des batteries du fort Morgan, l’amiral Farragut aurait communiqué les ordres suivants : « Damn the torpedoes ! Jouett, full speed ! Four Bells, Captain Drayton ! ». Cette anecdote est sujette à caution, relatée par le commodore Foxhall Parker près de quinze ans après la bataille de Mobile Bay. La paraphrase « Damn the Torpedoes ! Full Speed Ahead ! » est malgré tout passée à la postérité, devenue la citation la plus célèbre de l’histoire de l’US Navy.

La bataille de Mobile Bay le 5 août 1864. Le monitor USS Tecumseh heurte une torpille dormante devant le fort Morgan et sombre en quelques minutes, sur bâbord et non sur tribord comme représenté ici. Tableau Louis Prang (1824-1909), Library of Congress

Victime à de nombreuses reprises des torpilles, dormantes comme portées, la marine de l’Union n’est pas restée inactive dans ce domaine. Dès 1861, l’ingénieur français Brutus de Villeroi a entrepris à Philadelphie la conception d’un submersible de 14 mètres de long baptisé USS Alligator. Sa propulsion devait initialement être assurée par seize rames, dont l’étanchéité était sujette à caution, et qui furent remplacées en 1862 par une manivelle entraînant une hélice, comme sur le Hunley. L’engin ne sera pas utilisé opérationnellement : remorqué vers Charleston le 31 mars 1863 sur ordre de l’amiral Samuel Francis Du Pont, il est pris dans une tempête et abandonné le 2 avril au large du cap Hatteras.

Configuration d’origine du submersible de Brutus de Villeroi, propulsé par 16 rames.
Vue de l’USS Alligator en 1862, pourvu d’une hélice actionnée par une manivelle.

L’Alligator sera la seule expérience sous-marine de l’US Navy au cours de la guerre de Sécession. La marine de l’Union revient à un projet plus conventionnel en juin 1864 avec la commande de l’USS Spuyten Duyvil, un bâtiment torpilleur de 25 mètres de long et déplaçant 240 tonnes, armé par un équipage de 23 hommes. Le pont du navire est blindé à la manière d’un Monitor. Le Spuyten Duyvil est propulsé par une machine à vapeur entraînant une hélice, et dispose d’une réserve de 160 tonnes de charbon lui donnant une semaine d’autonomie en combustible. C’est donc un navire radicalement différent des petits torpilleurs mis en œuvre par la marine confédérée. Ce bâtiment ne sera toutefois pas employé opérationnellement dans ce rôle.

L’USS Spuyten Duyvil à Brooklyn Yard. Vue stéréoscopique E. & HT Anthony, Library of Congress.

La seule attaque réussie à la torpille menée par l’US Navy est finalement conduite sur un navire bien plus classique. Le Lieutenant William Barker Cushing fait armer un canot à vapeur d’un espar porte-torpille pour mener une attaque sur le cuirassé à casemate CSS Albermarle, qui protège l’accès à la Roanoke river en Caroline du Nord. Dans la nuit du 27 au 28 octobre 1864, le Lieutenant Cushing profite de l’obscurité pour se rapprocher de sa cible. Malgré les tirs d’armes légères, le torpilleur atteint l’Albermarle et son équipage fait exploser la torpille avant d’abandonner le canot. Cushing et l’un de ses hommes parviennent à s’échapper, deux marins se noient et les autres sont capturés. Le CSS Albermarle, touché sous la flottaison, sombre et touche le lit de la rivière.

Attaque à la torpille portée conduite par le lieutenant Cushing sur le CSS Albermarle le 27 octobre 1864


Le raid mené par Cushing et ses hommes sera la dernière attaque notable à la torpille du conflit, qui a donné lieu à un perfectionnement extrêmement rapide des systèmes de défense passive, du torpilleur et du submersible, qui donnera bientôt naissance en Europe au véritable sous-marin.

En couverture : The rebel torpedo boat David exploding a torpedo, under the U.S frigate New Ironsides, off Charleston S.C. on the night of the 5th of October 1863, National Museum of American History.

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