En cette période de rentrée, les nouveaux élèves de l’Ecole Navale ont reçu leur sabre des mains de leurs anciens, précieux symbole de leur engagement. Nous revenons sur ce cérémonial aussi ancien que l’école, telle qu’il se tenait quand l’institution était encore embarquée sur le vaisseau école le Borda.
L’article que nous reproduisons a initialement été publié dans l’ouvrage Histoire de l’Ecole Navale et des Institutions qui l’ont précédée, paru en 1889 :
La première sortie du mois de novembre donne lieu à une cérémonie traditionnelle appelée la Remise des sabres. Jusqu’à ce moment les sabres des fistots sont restés enfermés dans des armoires spéciales, au vestiaire, et les nouveaux élèves n’ont pu encore suspendre à leur côté ce qu’ils considèrent, avec juste raison, comme le plus bel ornement de leur uniforme.
Ce jour-là, à huit heures et demie du matin, à peine le déjeuner terminé, un coup de sifflet retentit tout à coup sur le pont, d’où les fistots sont expulsés par leurs anciens qui le forcent à descendre dans leur batterie. Là, leur major, qui dès le matin a reçu des instructions de son collègue ancien, fait ranger ses camarades sur quatre rangs, dans l’ordre de leurs numéros matricules, et à bâbord.
Le silence le plus profond règne dans la batterie quand s’ouvre tout à coup la porte faisant communiquer l’étude avec l’amphitéâtre.
A cheval sur le sabre de leur fistot réglementaire, la casquette virée de bord, la jugulaire au menton, les anciens, leur major en tête, font irruption au galop dans la batterie, et vont se ranger à tribord, face à leurs camarades de première année, et de façon que chaque ancien se trouve placé vis-à-vis de son fistot réglementaire.
Le major des anciens commande alors :
- A droite alignement !
- Fixe !
- Sabre main !
- Portez sabre !
- Présentez sabre !
Le mouvement exécuté, le major adresse aux fistots une allocution, leur montrant brièvement l’honneur qui va leur être fait par la remise de ce sabre.
Il les exhorte à se montrer dignes de le porter, imitant en cela, comme en tout autre chose, l’exemple de leurs anciens (applaudissements).
La remise de cet insigne les faits entrer définitivement dans la grande famille maritime, à laquelle ils doivent être fiers d’appartenir, et ils doivent avoir toujours présente à l’esprit la devise : Honneur et Patrie ! qui orne le pont de leur vaisseau.

Puis viennent quelques consignes sur la conduite qu’ils doivent tenir à terre, les jours de sortie, et le respect qu’ils doivent avoir pour leur uniforme. L’allocution terminée, à un signal donné par le major, chaque ancien se précipite vers son fistot, tire le sabre et, tandis que découvert et à genoux devant lui, le fistot baisse la tête, il le frappe de trois coups du plat de la lame sur l’épaule droite. Puis, il le relève en lui donnant l’accolade, lui passe le ceinturon et lui remet l’arme, insigne de son élévation définitive au rang de fistot. La cérémonie terminée, le nouveau chevalier offre le cigare réglementaire à son ancien.
Cette tradition, malgré l’exubérante gaieté qui l’accompagne, ne cesse pas que d’être, au fond, respectable par le sentiment qui l’a créée et la fait vivre de promotion en promotion. L’importance attachée à la remise du sabre indique la saine compréhension qu’entraîne, pour tout officier, l’honneur qui lui est fait par le droit de porter à son côté une arme, insigne de son grade d’officier.
Celui auquel le pays délègue une partie de son autorité pour commander à ses compatriotes a des devoirs rigoureux à remplir.
Dépositaire, en partie, de l’honneur de tous, il doit le sauvegarder en toute occasion.
Défenseur attitré du pays, il doit tout sacrifier pour sa défense, et jusqu’à son dernier soupir il doit conserver intact le dépôt d’honneur qui lui a été confié.
La remise du sabre est donc une des traditions du Borda que l’autorité, bon juge en matière de dignité personnelle et patriotique, voit d’un très bon œil, et il ne serait pas étonnant que cette cérémonie ne fût un jour réglementée officiellement, pour lui donner, par la présence de l’état-major et par une allure plus grave, un cachet d’austère dignité, plus en rapport avec son symbolisme touchant.
Pour aller plus loin :
Histoire de l’Ecole Navale et des Institutions qui l’ont précédée, par un ancien officier, 1889